
Les conséquences environnementales de la pêche intensive
Quand la mer se vide : comprendre l’impact de la pêche intensive
Quand on parle alimentation responsable, on évoque souvent les fruits, les légumes, le bio, le local. Mais peu de gens interrogent la provenance de leur poisson pané ou du filet de saumon du dimanche. Pourtant, la mer est loin d’être un garde-manger infini. Et la pêche industrielle met aujourd’hui les écosystèmes marins au bord du gouffre.
Pourquoi est-ce préoccupant ? Parce que ce que l’on met dans nos assiettes influence directement la santé des océans… et par effet domino, celle de notre planète. Jetons un coup d’œil pragmatique aux données, aux pratiques et aux leviers d’action concrets.
La pêche intensive : comment ça marche ?
Avant de parler d’impact, faisons un détour par la méthode. La pêche intensive, c’est l’exploitation massive des ressources marines via des navires-usines capables de rester en mer des semaines, voire des mois, et d’aspirer des tonnes de poissons en un seul passage.
Cette pêche est souvent motorisée par des subventions publiques et pilotée par des industries qui cherchent à maximiser le rendement, quitte à vider les stocks. Les techniques les plus courantes incluent :
- La pêche au chalut de fond : Un filet géant raclant les fonds marins, détruisant les habitats benthiques sur son passage.
- La senne coulissante : Un filet encerclant des bancs entiers de thons ou de sardines, ne laissant aucune chance aux échappés.
- La palangre industrielle : Des kilomètres d’hameçons dérivants, capturant cibles et non-cibles de façon indiscriminée.
Ces pratiques sont à l’origine d’un phénomène bien documenté : la surpêche.
Surpêche : au-delà du seuil de renouvellement naturel
D’après la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), 34% des stocks de poissons mondiaux sont actuellement surexploités. Concrètement ? On prélève plus vite que la nature ne peut reconstituer.
Résultat : certaines espèces s’effondrent, comme le thon rouge ou le cabillaud de l’Atlantique Nord. D’autres, comme le merlu ou l’anchois, ne sont pas loin de suivre. Cela menace directement la biodiversité marine, mais aussi la sécurité alimentaire de millions de personnes.
Un exemple frappant : dans les années 90, les stocks de morue de Terre-Neuve ont été tellement exploités qu’ils se sont effondrés. Trois décennies plus tard, ils ne sont toujours pas revenus à la normale. La nature a ses limites, et elle ne négocie pas.
Captures accessoires : le carnage collatéral
Chaque filet ramené n’attrape pas uniquement l’espèce ciblée. On parle de “captures accessoires” ou “prises accidentelles” (bycatch).
Selon le WWF, jusqu’à 40% des prises mondiales peuvent être non désirées : dauphins, tortues, requins, oiseaux marins, poissons juvéniles… Tous finissent entassés, blessés ou morts, puis rejetés à la mer. Inutile de dire qu’ils ne s’en remettent pas.
Imaginez une ferme qui pour chaque vache abattue tue aussi des chevaux et des chiens errants. C’est choquant ? En mer, on le tolère quotidiennement.
Impacts sur les écosystèmes et chaînes alimentaires
Pêcher à outrance, c’est rompre un équilibre vieux de millions d’années. En réduisant certaines espèces (comme les grands prédateurs : thons, requins, espadons), on observe des effets en cascade sur toute la chaîne alimentaire.
Par exemple, moins de requins = plus de poissons herbivores = surconsommation d’algues marines qui participent à la séquestration du carbone. On dérègle tout l’écosystème, ce qui affaiblit la résilience des océans face aux changements climatiques.
Et ce n’est pas que du long terme. Déstabiliser un écosystème marin, c’est aussi provoquer l’augmentation massive des méduses ou la prolifération d’espèces envahissantes qui peuvent ruiner toute une économie locale de pêche artisanale.
Empreinte carbone élevée
On l’oublie souvent, mais les navires de pêche industrielle brûlent d’énormes quantités de carburant, principalement du fioul lourd. Résultat : le secteur de la pêche commerciale participe à l’émission de millions de tonnes de CO₂ par an.
Un chiffre pour situer : selon une étude publiée dans Nature Climate Change, la pêche industrielle consomme environ 40 milliards de litres de carburant par an. Cela équivaut à l’empreinte annuelle de 50 millions de voitures. On est bien loin de l’image romantique du petit pêcheur en barque.
Pollution des océans et destruction des fonds
Au-delà des gaz à effet de serre, les filets de pêche eux-mêmes sont une source de pollution. Lorsqu’ils se perdent en mer (on parle alors de “filets fantômes”), ils continuent à tuer animaux marins et corail pendant des années.
Triste ironie : la mer devient simultanément une décharge plastique et un désert écologique. Les chaluts provoquent aussi la libération du carbone stocké dans les sédiments marins, accentuant le problème climatique. L’impact est donc double : biodiversité massacrée et carbone relâché.
Pêche industrielle vs pêche artisanale
Il est essentiel de distinguer “pêche” et “pêche”. La petite pêche, souvent côtière, familiale et diversifiée, est bien plus respectueuse des écosystèmes. En France, par exemple, 80% de la flotte est composée de petits bateaux, mais ils ne récoltent qu’environ 25% des prises totales.
Les 20% restants (chalutiers industriels, navires hauturiers) captent la majorité des ressources et ont l’impact le plus délétère. Pourtant, ce sont les petits pêcheurs qui assurent l’emploi local, la résilience territoriale et l’innovation vers la durabilité (techniques sélectives, filets biodégradables, rotation des zones de pêche, etc.).
Le paradoxe ? Ce modèle durable est économiquement étranglé par la concurrence des géants de la mer et la mainmise de quelques multinationales agro-alimentaires sur le marché du poisson.
Que pouvons-nous faire à notre échelle ?
Changer le système, cela commence par nos choix de consommateurs. Voici quelques pistes, directement applicables :
- Privilégier la pêche artisanale : Rechercher les poissons locaux, issus de petits ports, en circuits courts. Marchés, AMAP de la mer, poissonneries labellisées.
- Éviter les espèces menacées ou surexploitées : Thon rouge, cabillaud, soles de la mer du Nord… Des guides comme celui du MSC ou WWF sont de bonnes ressources.
- Alterner avec des sources végétales de protéines : Légumineuses, tempeh, tofu, céréales complètes sont aussi nutritifs, parfois plus durables encore.
- Réduire la fréquence de consommation : On n’a pas besoin de poisson à chaque repas pour être en bonne santé. 1 à 2 fois par semaine est une fréquence suffisante et recommandée.
- Vérifier les labels (avec prudence) : MSC (Marine Stewardship Council), ASC (Aquaculture Stewardship Council), ou Bio pour l’aquaculture peuvent aider, même si certains sont critiqués. Toujours croiser avec des sources indépendantes.
Et surtout : posons la question. Au marché, à la poissonnerie, au resto… “D’où vient ce poisson ? Pêche locale ? Équitable ?” C’est en demandant qu’on éveille les consciences et qu’on encourage la transparence du secteur.
Repensons notre rapport à la mer
La mer n’est pas un garde-manger automatique. C’est un écosystème vivant, complexe, qui rend d’immenses services à l’humanité : régulation du climat, production d’oxygène, nourriture, loisirs… mais aussi beauté et lien aux cycles naturels.
La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses solutions existent. Aires marines protégées, quotas stricts, innovations techniques… Mais sans volonté collective et individuelle, elles resteront lettre morte.
Changer de cap, ce n’est pas revenir à l’âge de pierre. C’est redonner du sens à notre alimentation. Valoriser ce qui est produit avec soin et respect. Et cesser d’agir comme si les océans étaient infinis.
Alors la prochaine fois que vous croisez un filet de cabillaud ou un sushi de thon, demandez-vous : à quel prix est-il arrivé là ? Et comment adapter votre choix pour préserver la mer qui le rend possible ?