La restauration face à son impact environnemental : où en est-on ?
La restauration, qu’elle soit rapide, traditionnelle ou gastronomique, pèse lourd dans la balance environnementale : gaspillage alimentaire, surconsommation d’eau, emballages jetables, transport d’aliments sur de longues distances… la liste est longue. Pourtant, depuis quelques années, une vague de prises de conscience s’observe dans ce secteur longtemps à la traîne en matière d’écologie.
Mais concrètement, quelles sont les initiatives déjà en place ? Qu’est-ce qui fonctionne ? Et surtout, que peut-on appliquer à notre propre échelle, que l’on soit restaurateur, client ou simple amateur de bonne bouffe ? Voici un tour d’horizon méthodique – et sans langue de bois – des actions écologique qui transforment les cuisines professionnelles.
Du champ à l’assiette : privilégier l’approvisionnement local et durable
C’est souvent le point de départ des engagements écoresponsables : repenser les achats. Fini les fraises en janvier ou les tomates espagnoles bourrées de pesticides. Les restaurants écoresponsables basculent vers :
- des circuits courts (moins d’intermédiaires, frais de transport réduits)
- des produits de saison (meilleur goût, moindre impact carbone)
- des productions biologiques ou labellisées durables (AB, Demeter, Bio Cohérence…)
Par exemple, le restaurant bordelais Rest’O s’approvisionne exclusivement dans un rayon de 80 km. Résultat : une carte créative et changeante, mais surtout 35 % d’émissions de CO₂ en moins sur l’ensemble de ses plats.
C’est l’un des leviers les plus simples à actionner… à condition d’accepter de réajuster sa carte et de travailler sa flexibilité culinaire.
La chasse au gaspillage alimentaire, une priorité rentable
Un tiers de la nourriture mondiale est jeté. Dans la restauration, la perte peut représenter jusqu’à 20 % du volume d’approvisionnement. Autrement dit : de l’argent dépensé pour rien, du temps de travail gaspillé et une charge environnementale inutile.
Les restaurateurs les plus engagés ont mis en place des protocoles très concrets :
- Pilotage des quantités cuisinées à l’aide de logiciels de suivi
- Utilisation de tous les aliments (fanes, épluchures, os pour les bouillons, etc.)
- Distribution des invendus via des plateformes comme Too Good To Go
- Compostage des déchets organiques pour boucler la boucle
Dans un petit bistrot parisien, j’ai pu observer un chef qui pèse chaque déchet de préparation et les consigne en fin de service, pour affiner ses preps au gramme près. Résultat : 12 % de réduction de matière première gaspillée… et des économies significatives sur sa marge brute.
Des cuisines plus sobres en énergie et en eau
Un four professionnel qui tourne à vide pendant une heure ? Environ 4 kWh envolés. Soit l’équivalent de la conso quotidienne d’un frigo A++ d’appartement. La restauration consomme énormément d’énergie, souvent sans réelle optimisation.
Quelques initiatives efficaces :
- Étages de cuisson mutualisés et extinction des équipements inutilisés
- Robinetterie à déclenchement ou débit limité
- Pompes à chaleur pour récupérer la chaleur des chambres froides
- Choix de l’électroménager à haute efficacité énergétique (labels CE, Ecodesign, etc.)
Fait intéressant : certaines formations en gestion culinaire incluent désormais un module sur l’éco-conception des cuisines. Pas du blabla marketing : juste du bon sens pour réduire la facture d’électricité et la pression sur les ressources.
Réduire (vraiment) le plastique et les emballages
Entre les contenants à emporter, les films plastiques de conservation, les produits surgelés conditionnés, la restauration produit une montagne de déchets non recyclables. Pourtant, les alternatives existent… encore faut-il les appliquer systématiquement.
Voici ce que les établissements pionniers mettent en place :
- Utilisation de contenants consignés pour la vente à emporter (solutions comme Reus’eat, Vytal, BoxEaty)
- Suppression des contenants à usage unique : pailles, couverts, serviettes emballées
- Achat de produits en vrac ou conditionnés en grands volumes
- Travail avec des fournisseurs qui acceptent les caisses réutilisables
Un restaurant lyonnais travaille même en lien direct avec deux producteurs qui livrent les légumes sans emballage… dans des caisses en bois roulantes récupérées par la suite. Bilan en six mois : près de 800 sacs plastiques non générés.
Former le personnel pour faire durer l’engagement
Mettre en place des écogestes, c’est bien. Mais les pérenniser exige que toute l’équipe comprenne leur intérêt… et adhère. C’est souvent l’écueil principal dans les restaurants où le turnover est élevé ou la pression forte.
Certains restaurateurs innovent en formant leurs équipes à l’écologie appliquée dès l’embauche :
- Formation à la gestion des déchets et à leur tri efficace
- Objectifs individuels pour réduire les pertes de matière première
- Bonification collective (ex : prime mensuelle si la consommation d’eau reste sous un seuil défini)
Je me souviens d’un restaurant d’entreprise qui affichait, chaque semaine, les gains générés par les efforts collectifs : kilo de déchets évités, eau économisée, coûts réduits. Rien de tel que de voir noir sur blanc les résultats de ses efforts pour donner du sens à son travail.
Le végétal, levier majeur de transition
On ne va pas faire semblant : l’alimentation animale est à l’origine de plus de 14 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Pour les restaurateurs, proposer des alternatives végétales, c’est un moyen très concret de baisser cette empreinte carbone… et de répondre à une attente croissante des clients.
Quelques tendances durables à noter :
- Plats végétariens en option obligatoire (depuis le décret d’octobre 2019 dans les cantines françaises)
- Protéines végétales locales : lentilles, pois chiches, tempeh artisanal, seitan maison
- Menus “flexitariens” clairement affichés
Un exemple inspirant : Les Marmites Végétales, un restaurant rennais en cuisine 100 % végétale, affiche son bilan carbone mensuel sur un tableau noir à l’entrée. En moyenne, leurs plats produisent 70 % de CO₂ en moins qu’un plat carné équivalent. De quoi convaincre sans moraliser.
Communication transparente et traçabilité : regagner la confiance
Dernier enjeu, et pas des moindres : expliquer sans greenwashing, prouver sans complexifier. Trop de restaurants se contentent d’un logo “bio” ou d’une fiche carbone en PDF planquée sur leur site. Or, la clientèle engagée devient exigeante… et renseignée.
Les bonnes pratiques en communication verte :
- Rendre publics les fournisseurs, leur démarche et leurs labels
- Indiquer la saisonnalité des ingrédients sur la carte
- Afficher les efforts environnementaux (gaspillage, transport, énergie) de façon pédagogique
Par exemple, Le Zéphyr, petite brasserie de Nantes, présente chaque mois sur son ardoise une fiche “Menu transparent” : origine des produits principaux, mode de cuisson, déchets générés, et même une estimation CO₂ par plat. Le tout présenté simplement, sans calculs savants… mais avec une véritable cohérence.
Et maintenant, à vous de jouer
Si vous êtes restaurateur ou travaillez dans une cuisine, la bonne nouvelle, c’est que chaque geste compte et qu’aucun changement n’est trop petit. Commencez par diagnostiquer vos pratiques (vous pouvez utiliser des outils comme Climax ou Restauration Durable), puis avancez étape par étape.
Et si vous êtes client ? Vous avez aussi votre rôle à jouer. Posez des questions, encouragez les établissements engagés, évitez les commandes excessives, et repartez avec le reste de votre assiette si vous ne finissez pas. En somme : soyez acteur, pas seulement consommateur.
La transformation écologique du secteur de la restauration est en cours. Reste à savoir si elle sera perçue comme une contrainte… ou comme une formidable opportunité d’innover, de fédérer, et – pourquoi pas – de mieux manger tout en soignant la planète. Tout est encore à cuisiner, alors passons aux fourneaux.